Peu de bâtiments auront dépassés leur fonction initiale, religieuse en l'occurrence, pour atteindre à une forme d'universalité comme Notre-Dame. C'est le lot des chefs d'œuvre, qui ont leur vie propre, même en ruine. A l'inverse, les œuvres communes, aussi honorables soient-elles, doivent s'accrocher à leurs usages pour survivre. Pas Notre-Dame. Comme le Parthenon, elle se dresse même blessée. La Littérature, qui érige mieux que tout Art, mieux que l'Architecture elle-même, parce que c'est elle, homérique par essence, qui fonde la légende, la littérature donc, par Hugo, par Peguy, le lui aura permis. Viollet-le-Duc, avec un panache contenu, en aura dressé la forme la plus achevée - par rationalisme, par érudition aussi, par sens de l'universel en d'autres termes.
L'effroyable incendie nous aura donc fait à tous l'effet d'un autodafé. C'est l'œuvre d'un père de notre corporation qu'on efface, le cœur des croyants que l'on perce, l'histoire de France que l'on blesse. Tout cela à la fois.
Oui, il faut reconstruire.
Mais comme toujours, reconstruire c'est aussi détruire. Faire, c'est oublier. Viollet-le-Duc le savait, aussi nous a t'il laissé son codex, immense, scientifique, pour se prémunir de l'abîme.
Pugnace, confrère Villeneuve s'est fait le gardien du codex. Effacer la flèche, c'est effacer la cohérence d'une œuvre bien-sûr, mais tout un honneur, que notre vénérable corporation partage avec la Nation et même le monde.
Viollet-le-Duc est notre père. Et en ce temps de relativisme, où tout se vaut, on prétend se mesurer à son œuvre, en se mesurant à sa flèche qu'on ferait plus haute. Singulièrement, il s'était, en son temps, mesuré aux bâtisseurs de cathédrale. Mais son œuvre, océanique dirait Hugo, ne pesait-elle pas, et encore aujourd'hui, un poids semblable, voire supérieur ? Bonaparte, en ce même siècle, n'osa t'il pas se mesurer à César et Auguste, jugeant même sévèrement dans son exil la décadence d'Alexandre de Macédoine ?
Et n'y avait-il pas crédibilité à vouloir refonder, sur les rives de la Spree, avec Schinkel, une Athènes berlinoise ?
Reconnaissons-le, c'était une autre époque, pourtant pas si lointaine, que nous ne dominons que par le déploiement du savoir technique et non par celui de la Culture, dont l'enjeu, aujourd'hui, est d'être préservé. Qui se mesurerait à Bonaparte, à Hugo, à Schinkel ?
Chers confrères, nous ne ferons pas mieux que Viollet-le-Duc, qui a définitivement abouti Notre-Dame. Nous n'avons plus rien à dire sur Notre-Dame. Cela nous est défendu. C'est un autre temps. Ce serait par vanité vouloir réinventer quelques vers des Contemplations d'un exemplaire brûlé accidentellement : nous en avons, par l'industrie de l'imprimerie, par la numérisation, une quantité d'autres qui nous permettent sans erreurs de recopier ces vers manquants à l'identique. Il en est de même de Notre-Dame, dont nous n'avons certes qu'un exemplaire, mais dont nous avons les plans et quantité d'images !
Rappelons nous ce que disait fort bien Pierre Boulez : une œuvre est faite pour être jouée de la façon dont elle a été écrite.
Ce chef d'œuvre, dérobé, en toute justice, doit être restitué. Et nous le pouvons.
Honneur au confrère Villeneuve pour cette victoire.
M. Cherief